L’amour
Ce n’est qu’au XVIIIe siècle que l’amour a commencé de jouer un rôle en tant qu’élixir indispensable et condition sine qua non dans l’union entre l’homme et la femme. Auparavant, les considérations économiques étaient primordiales pour la seule union légitime existante : le mariage. En 1761, Julie ou la nouvelle Héloïse, roman de Jean-Jacques Rousseau, est venu remettre en cause le statut de normalité dont le mariage de raison bénéficiait depuis des siècles. Dès lors, l’idée que l’union d’un homme et d’une femme doit être basée sur l’amour s’est affirmée au point de devenir l’idéal romantique par excellence, notamment codifié dans le roman Lucinde de Friedrich Schlegel. La passion et la protection offerte par le foyer conjugal n’étant pas incompatibles a priori, la sensualité, l’abandon sauvage à l’être aimé et le goût du fantastique et du merveilleux ont progressivement remplacé le pragmatisme dans le mariage. Néanmoins, la prééminence des émotions se révéla être dangereuse, l’absence d’harmonie entre les époux pouvant être la source d’une profonde souffrance.
L’amour romantique peut donc être compris comme une utopie dont l’aspect idéaliste résiste mal à l’épreuve du temps. Les efforts visant à surmonter la banalité du quotidien et conserver à une relation amoureuse son caractère exalté sont en effet irrémédiablement confrontés au risque d’échec. Avec pour résultat dans ce cas un abattement et une tristesse latente qui peuvent durer toute une vie.
Le suicide
Le suicide a été défini comme un péché par saint Augustin dès le Ve siècle. Avec pour conséquence que les suicidés n’étaient pas enterrés en terre chrétienne et n’avaient droit qu’à la sepultura asini, c’est-à-dire la « sépulture des ânes » dont parle déjà le prophète Jérémie dans l’Ancien Testament. Cette tradition catholique, reprise par les Protestants, devait rester en vigueur jusqu’au début du XIXe siècle.
Bien que le Werther de Goethe se fût donné la mort, la vague de suicides liée au succès de l’œuvre n’apparut que bien plus tard, de sorte que l’autolyse — et à plus forte raison le double suicide — restèrent encore des sources de scandale. Néanmoins, Werther fut à l’origine de la place à part réservée au suicide dans l’imaginaire romantique : cette option y est considérée moins comme la solution à une situation désespérée que comme une sorte de martyre sécularisé permettant d’accéder à la consolation dans l’au-delà. Les conditions étaient dès lors réunies pour que suicide et double suicide deviennent à la mode.
On notera toutefois que les suicides présents dans la littérature des siècles antérieurs au Romantisme (Tristan et Iseult, Roméo et Juliette) sont le résultat d’un amour rendu impossible par les conventions sociales, et qu’ils constituent des réactions passionnelles qui trouvent en partie leur origine dans des malentendus.
La mort
Amour fou se termine par la mort instantanée des protagonistes causée par une arme à feu. Cette mort « biologique » aura toutefois été précédée de la mort lente de leurs émotions, étouffées par le quotidien. Le mode de vie bourgeois qu’on voit dans le film conduit en effet à un assèchement émotionnel en contradiction avec le concept de passion inhérent à l’idéal romantique. La libération des contingences matérielles ne semble possible à Kleist et Henriette que dans un monde meilleur auquel la mort donnerait accès.
La mort était alors bien plus présente qu’à notre époque : la mortalité infantile restait élevée, on mourait généralement chez soi, la mort frappait tôt même dans les classes privilégiées (on sait que la reine Louise de Prusse mourut à l’âge de trente-quatre ans seulement), les guerres fréquentes faisaient de nombreuses victimes parmi les militaires et la population civile, et l’on mourait fréquemment du fait des épidémies, de la pauvreté ou du manque d’hygiène et de soins médicaux. Les hommes jeunes avaient connu la guerre (et beaucoup y avaient d’ailleurs participé).
D’une manière générale, la vie humaine avait alors moins de valeur que dans le monde occidental moderne et l’espérance de vie était réduitePour l’Homme du XIXe siècle, qui croyait en Dieu et à la résurrection, la mort n’était pas une fin mais un passage.
Heinrich von Kleist
Bien qu’exalté et probablement bipolaire, Kleist ne s’est pas suicidé spontanément mais a prévu sa mort de manière rationnelle. Tous les projets qu’il avait conçus avaient échoué, de sorte que la mort dut lui apparaître comme une libération, la seule solution envisageable face à un avenir bouché.
Kleist, cependant, ne se laisse pas facilement cataloguer et on ne peut pas véritablement dire que c’était un poète romantique. Ses nouvelles, ses drames et ses projets journalistiques sont d’une autre nature et le Romantisme allemand semble bien mieux représenté par des auteurs tels que Novalis, Ludwig Tieck, Clemens Brentano ou Achim von Arnim.
Henriette
Henriette correspond parfaitement à l’épouse bourgeoise typique du début du XIXe siècle. Parallèlement à cet archétype, il existait néanmoins dans la noblesse et la bourgeoisie, en particulier juive, des femmes beaucoup plus émancipées qui tenaient salon — notamment à Berlin —, demandaient le divorce ou partaient vivre avec leur amant, abandonnant alors leurs enfants et leur existence bien rangée. Certaines gagnaient même leur vie en tant qu’artistes ou femmes de lettres.
Toutes ces femmes s’affirmaient ainsi, contrairement à Henriette, épouse ne participant qu’occasionnellement à la conversation de ses invités et ne brillant pas particulièrement par des idées personnelles. Ce n’est qu’après qu’elle fut tombée malade qu’elle commença à penser à la mort et à se remettre en question.